Le PDG qui monte, qui monte...

Publié le par ludovic

En vue. Il est l’empereur des centres commerciaux. Et le plus jeune PDG du CAC 40. Voici Guillaume Poitrinal !
 
En visite dans les centres commerciaux Guillaume Poitrinal ne laisse rien au hasard, ici aux Quatre Temps à la Défense © Hamilton/REA

Parcourir un centre commercial avec Guillaume Poitrinal, c’est un peu comme faire du shopping avec Anna Wintour, la grande prêtresse de la mode américaine qui a inspiré « Le diable s’habille en Prada ». Le patron d’Unibail-Rodamco connaît toutes les marques « in » du moment, les créateurs en vue, les concept stores qui cartonnent. Attentif au moindre détail, il empoigne les tee-shirts à 10 euros pour en vérifier la qualité, surveille l’agencement du magasin, s’assure que la lumière met en valeur les vêtements exposés en vitrine avec un oeil expert... Pour le moins étonnant venant de ce grand gaillard de 1,90 mètre à la silhouette dégingandée et au costume informe. Les commerçants, eux, ne semblent guère surpris. Ils ne sourcillent pas, même lorsque ce drôle d’inspecteur se fait indiscret : « Et les toilettes, vous avez visité les toilettes ? »
Si personne ne bronche, pas même l’ancien Premier ministre Laurent Fabius-invité lui aussi à visiter ces merveilleux sanitaires agrémentés d’aquariums où nagent carpes et truites-, c’est que l’homme en impose. Guillaume Poitrinal n’est pas seulement l’heureux propriétaire des Docks 76, le tout nouveau centre commercial rouennais qu’il inaugure ce jour-là. PDG d’Unibail-Rodamco-la première foncière européenne-depuis sa nomination en 2007, il possède aussi les clés de bien d’autres points de vente parmi les plus fréquentés du pays : le Forum des Halles et les Quatre Temps à Paris, la Part-Dieu à Lyon, Rive Etoile à Strasbourg et Carré Sénart en banlieue parisienne. Son empire, qui, outre 102 centres commerciaux, compte 433 000 mètres carrés de bureaux et 10 centres de convention cogérés avec la chambre de commerce et d’industrie de Paris, s’étend de Madrid à Moscou. Portrait de ce prince de l’immobilier qui est aussi, à 41 ans, le plus jeune membre du club très fermé des patrons du CAC 40.
« Nous savions tous que Guillaume ferait une carrière exceptionnelle. Déjà chez Morgan Stanley, alors qu’il n’était que simple analyste, tout en bas de l’échelle, on le surnommait le managing analyst . Il avait 25 ans, mais il se comportait déjà comme les managing directors qui nous dirigeaient », raconte l’un de ses collègues de l’époque. Ce n’est donc pas un hasard si, même en fusions-acquisitions, la prestigieuse division où il débute à Londres puis à Paris, l’ambitieux diplômé d’HEC se sent rapidement à l’étroit. « Dans la banque d’affaires, on saute d’un sujet à un autre. On ne vit pas avec ce que l’on crée. J’avais envie de construire quelque chose de durable, que je puisse voir évoluer », confesse l’intéressé.
Sur les conseils d’une amie commune, Poitrinal contacte donc Léon Bressler, tout-puissant patron d’Unibail, qu’il a déjà croisé au cours d’une mission chez Morgan Stanley. Ce dernier cherche quelqu’un pour l’aider à poursuivre le redressement de sa société, sinistrée après la violente crise immobilière de 1990-1991. Guillaume Poitrinal ne connaît rien à l’immobilier ? Qu’importe... Séduit par le dynamisme et l’enthousiasme du jeune homme, Bressler le recrute comme chargé de mission en 1995. Douze ans plus tard, au moment o&ugrav e; il annonce son départ soigneusement préparé, le pape de l’immobilier français n’hésite pas : de ses deux directeurs généraux adjoints, c’est Poitrinal qu’il choisit pour lui succéder.
Entre-temps, coaché par son redoutable mentor, le jeune banquier a appris toutes les ficelles du métier. Et se révèle excellent au poker menteur des tractations avec les vendeurs (pour l’acquisition d’un terrain), les élus (pour l’ouverture d’un centre), les enseignes (dans le cadre délicat des renégociations de baux)... « Contrairement à la plupart de nos concurrents, qui se focalisent soit sur la promotion immobilière - à l’instar de Nexity ou Bouygues -, soit sur le financement, soit sur la gestion des centres commerciaux, nous exerçons ces trois activités à la fois », explique Guillaume Poitrinal. D’où l’attention presque maniaque portée par ce dernier à des détails tels que la taille de la place de parking, la luminosité des lieux ou la propreté des toilettes.

Rouleau compresseur


Pour attirer le chaland dans ses malls géants, l’ex-banquier ne se contente pas de jouer les architectes d’intérieur et les Madame Pipi. Il se met également dans la peau d’un camelot en chef ayant toujours une nouvelle attraction à proposer à ses volatils clients. S’inspirant de ce qui se fait aux Etats-Unis, il installe un poney-club sur le parking de Carré Sénart, fait venir une exposition de squelettes de dinosaures dans l’un de ses centres commerciaux tchèques, organise des concerts de piano et envisage même prochainement d’obtenir un accrochage des mobiles de Calder dans ses galeries. « Rien ni personne ne peut résister au rouleau compresseur Poitrinal », souligne un ex-Unibail. Juste après sa nomination à la tête d’Unibail, il réalise la fusion avec le néerlandais Rodamco dont rêvait Bressler. L’opération propulse ce fils de chirurgien qui négocie au scalpel à la tête d’un géant de l’immobilier professionnel, poids lourd de 1 700 salariés et de 1,2 milliard de chiffre d’affaires en 2008. Et conforte sa réputation de bulldozer acquise dans le cadre du projet Coeur Défense. Pilotée en tandem avec Bressler, cette pharaonique opération de promotion immobilière avait été jugée insensée par ses concurrents à l’époque. Tous reconnaissent aujourd’hui l’incroyable flair de Poitrinal, qui a obtenu le terrain d’origine (baptisé le « trou ») pour une bouchée de pain et a revendu l’ensemble construit à Lehman Brothers au plus haut du marché pour la somme record de 2,150 milliards d’euros. Bénéfice empoché par Unibail : 1,5 milliard d’euros ! Les vieux routiers de chez Bouygues, chargés du chantier, se souviennent eux aussi de ce jeune loup : « Le contrat qu’il leur a fait signer tenait en 20 pages et avait l’air d’un brouillon. Ils ne se sont pas méfiés, d’autant que la coutume dans ces grands projets consiste à renégocier les tarifs en cours d’opération. Ils ont découvert à leurs dépens que, pour Guillaume Poitrinal, un contrat signé est un contrat signé. Malgré l’envolée du prix des matières premières, ce dernier n’a pas lâché un centime de plus que ce que prévoyait le document initial ! »
Cette intransigeance-certains vont jusqu’à parler de brutalité-dans les affaires reste la marque de fabrique du patron d’Unibail-Rodamco. « L’homme est dur et dominateur. Cela déteint sur ses équipes, qui ont un côté légions romaines dans "Astérix" », regrette un promoteur immobilier. A la tête de bataillons de jeunes recrues pêchées quasi exclusiment dans les grandes écoles parisiennes (avec un tropisme HEC lié à sa propre formation), le général Poitrinal est accusé de tout écraser sur son passage : les vendeurs de terrains ou d’immeubles pris à la gorge, les commerçants, à qui il extorque des loyers exorbitants et même les collaborateurs du groupe, managés sur le mode « Marche ou crève ». On le dit mal éduqué, cassant, parfois à la limite de la grossièreté...
L’intéressé met ces critiques sur le compte de la jalousie. « En France, réussir avant d’avoir les cheveux gris est considéré comme malpoli, se plaint-il. Aux Etats-Unis, à 41 ans, je serais presque le doyen de la cote. » Entré au CAC 40 presque par effraction au moment de la fusion avec Rodamco, le quadra ne s’est pas encore vraiment fait un nom au sein de l’establishment parisien, alors qu’il est le chouchou des analystes et des investisseurs anglo-saxons. « Les résultats ont beau être au rendez-vous [Unibail résiste mieux à la crise que la plupart de ses concurrents], Poitrinal agace ses pairs car il bouscule les codes de la vieille chevalerie industrielle et financière : respect des aînés, déférence à l’égard de l’administration et de sa caste sacrée-l’inspection des finances-, copinage avec les politiques », analyse son avocat et ami Frédéric Nouel, du cabinet Gide Loyrette Nouel. Il va rarement à l’Opéra, ne fréquente pas les dîners mondains ni les cénacles du pouvoir. Sauf quand c’est pour la bonne cause... Ainsi, un invité se souvient d’une soirée oenologie coorganisée par le patron d’Unibail et son grand copain Jean de Pourtalès, spécialiste de l’immobilier chez Goldman Sachs, à laquelle était présent tout ce que Paris compte de grands aménageurs et promoteurs. Un verre de vin vaut mieux qu’un pot-de-vin, rétorquerez-vous... Poitrinal, qui fait partie de la nouvelle génération de l’immobilier, assure « n’avoir jamais versé un centime indu ».
Le seul poste de dépenses auquel ce provincial originaire de Châtellerault, resté « un peu paysan » (c’est un compliment dans la bouche de Geoffroy Roux de Bézieux, qui le connaît bien), consente quelques largessses est celui de son propre traitement. En la matière, le jeune patron, membre du comité de rémunération du Medef (où certains le verraient bien évoluer), a déjà pris les mauvaises habitudes de ses aînés. En deux ans, son salaire est passé de 412 300 euros à plus de 1 million d’euros, bonus inclus. « On ne va tout de même pas mettre les dirigeants du CAC au smic », se défend-avec le franc-parler qui le caractérise-celui qui dit mener une vie « de cadre sup’». Quand il ne travaille pas, Guillaume Poitrinal monte à cheval, chasse avec ses amis d’HEC et trouve même le temps de lire, entre deux conf calls< /em> . L’un des derniers ouvrages qu’il a dévorés : « La guerre des Gaules », de Jules César. Prémonitoire ? Une chose est sûre : l’entreprise de conquête du plus jeune général du CAC, que certains imaginent déjà prendre la tête d’une entreprise plus imposante qu’Unibail, ne s’arrêtera pas aux centres commerciaux...
 

Publié dans Revue de Presse

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
<br /> Franchement qu'il fasse la même visite à Bobigny2, en prenant le soin d'inspecter les toilettes impeccables!!! Il y a vraiment 2 mondes pour ces PDG là, je ne sais même pas s'il sait situer Bobigny<br /> sur une carte géographique, son repère doit plutôt être l'échelle sociale....<br /> <br /> <br />
Répondre
Je suis d'accord avec toi, mais il me semble plus interressant de les attaquer sur des faits politiques, car ni toi, ni moi ne pouvons classer unibail dans l'echelle commerciale,car nous ne pronons tout simplement pas le meme systeme.